Parcours Académique

Baccalauréat en histoire de l’art, Université de Montréal, 1968-1971

En 1968, je me suis inscrite au programme d’histoire de l’art de l’Université de Montréal. L’enseignement initiait les étudiantes et les étudiants à la méthode du connaisseurship basée sur l’identification des traits formels des œuvres afin de les classer dans une catégorie stylistique et de les attribuer à leurs auteurs. Étaient aussi enseignées les conceptions des auteurs canon de la discipline telles que l’analyse iconographique et iconologique des œuvres de Panofsky, l’approche cyclique de leur histoire formelle élaborée par Wölfflin ainsi que l’approche sociologique de Pierre Francastel. Il m’est apparu que sa conception de l’histoire de l’art offrait une approche différente de celles des historiens d’art qui l’avaient précédé. J’ai découvert une interprétation des œuvres fondée sur leur contextualisation culturelle appliquée à l’étude de ruptures artistiques représentées par les œuvres de la Renaissance italienne et de la modernité. J’ai retenu que Francastel a démontré que ces œuvres avaient contribué à l’émergence de nouvelles visions du monde par la création de représentations visuelles du réel. La découverte de cette conception de l’histoire de l’art a été déterminante pour moi, sans que pour autant que mon cheminement de chercheure ait suivi la voie tracée par Francastel. Cependant, elle m’a incitée à étudier les modes d’insertion des œuvres dans leur contexte socioculturel.

Maîtrise en histoire de l’art, Université de Paris-Nanterre, 1971-1973

En 1971, je me suis inscrite au programme de maîtrise offert par le département d’histoire de l’art de l’Université de Paris-Nanterre. Mon mémoire a été dirigé par Marc LeBot dont les travaux de recherche et l’enseignement s’inscrivaient dans la continuité de la pensée sociologique de Pierre Francastel. Ouvert à l’art contemporain, Marc LeBot avait accepté que mon mémoire porte sur un moment alors actuel de l’art québécois, l’année 1968, période de contestation sociale qui s’était manifestée dans le milieu de l’art par les remises en question des notions artistiques propres aux courants antérieurs du modernisme. Le choix de ce sujet a été influencé par les cours sur l’art québécois de François-Marc Gagnon que j’avais suivis à l’Université de Montréal. J’appréciais que son enseignement se soit distingué du point de vue de professeurs d’origine européenne qui considéraient que l’art du Québec avait une histoire trop récente pour constituer un sujet valable. Commentaire critique que les études culturelles qualifient d’attitude coloniale.

« Les propos de L’artiste et le pouvoir 1968-1969 affichent une portée polémique. »

Mon mémoire de maîtrise donna lieu à une publication intitulée L’artiste et le pouvoir 1968-1969 (1) rédigé avec mon amie Suzanne Lemerise que j’avais connue durant mes études de 1er cycle à l’Université de Montréal, et qui s’était aussi inscrite au département d’histoire de l’art de l’Université Paris-Nanterre. Marc Lebot nous avait proposé de partager le corpus de l’analyse synchronique de la vie artistique à Montréal de 1968 afin de comprendre les dynamiques structurant les activités des différentes instances de son champ artistique, leur inscription dans le contexte social, ainsi que les prises de position des artistes à l’égard de ces instances. Nous étions au début des années 1970, l’analyse des institutions culturelles et artistiques était dominée par le concept de champ artistique développé par Pierre Bourdieu. Ce concept axé sur la mise en lumière des luttes entre les acteurs du champ artistique pour la conquête de la légitimation culturelle des œuvres était une notion incontournable. Notre analyse du contexte de la vie artistique au Québec, dans les années 1968-1969, s’est appuyée sur ce concept du champ artistique. Les propos de L’artiste et le pouvoir 1968-1969 affichent une portée polémique. Nous avions pris le parti de ceux et celles qui, en réclamant une plus grande insertion sociale des pratiques artistiques, remettaient en question les normes et les critères définissant les courants du modernisme. Nous avons identifié des pratiques artistiques qui réalisaient cette nouvelle relation avec l’espace public, tels les happenings, l’art de l’environnement sollicitant la participation du public, les œuvres éphémères dans l’espace urbain, les performances héritées du théâtre de guérilla culturelle. Le contexte socioculturel de ces œuvres était celui des rassemblements d’artistes qui aspiraient à une reconnaissance accrue de leur rôle social. Ces revendications rejoignaient celles des étudiants qui, à l’automne 1968, occupaient l’École des Beaux-Arts de Montréal et considéraient cette institution comme une tour d’ivoire existant en marge des activités de la société actuelle. Dans les quotidiens, des critiques d’art avaient fait écho à ces discussions. Cet enseignement avait également été critiqué par les membres de la Commission de l’enseignement des arts présidée par le sociologue Marcel Rioux (2). Ils ont proposé un élargissement de l’insertion sociale des pratiques artistiques dans les domaines de l’environnement et du design. Notre étude a donc mis en lumière l’effervescence et la synchronisation de ces débats sur la fonction sociale de l’art qui annonçaient un changement de paradigme.

Doctorat en anthropologie sociale et historique, École pratique des hautes études à Paris, 1973-1981

J’adhérais à cette remise en question du pouvoir des instances de légitimation d’un art destiné à un public doté d’une culture artistique savante. Cette position critique m’a amenée à étudier un phénomène de la culture visuelle populaire existant en dehors du milieu institutionnel de l’art. Ce fut mon sujet de thèse de doctorat qui a été dirigée par Raymonde Moulin, professeure et chercheure à l’École pratique des hautes études à Paris, réputée pour ses analyses du marché de l’art. Elle m’a initiée aux méthodes d’enquête de la sociologie de l’art. Elle était alors engagée dans une recherche portant sur le marché de l’art contemporain (3). Elle me proposa de collaborer à cette recherche en entreprenant une analyse du marché des chromos, manifestation de la culture visuelle populaire que Raymonde Moulin avait incluse dans son étude du marché de l’art en tant que phénomène d’une production artistique contemporaine. J’ai analysé les pratiques de différents réseaux de production et de diffusion de cette catégorie de la production artistique qui s’étaient développés à Montréal et dans ses banlieues (4). En appliquant les méthodes d’enquête que m’avait enseignées Raymonde Moulin j’ai identifié les circuits de production et de distribution des chromos. J’ai interviewé les artistes et les diffuseurs afin de décrire leurs pratiques. Me référant à la classification des sphères de la production culturelle définies par Pierre Bourdieu, j’ai considéré que les chromos étaient des manifestations de l’art moyen destinées à un public qui n’était pas doté d’une compétence artistique. Bourdieu avait qualifié cet art moyen de culture en simili pour affirmer qu’il établissait une relation de mimétisme avec la culture savante. J’ai observé un certain mimétisme des pratiques du marché de l’art savant. Des lieux de diffusion affichaient le titre de galerie d’art, les artistes apposaient leurs signatures sur les tableaux, le propriétaire des galeries exigeait d’eux que chacun marque son individualité par sa manière et son thème. Les artistes produisaient des tableaux avec des outils traditionnels de la peinture, pinceaux, spatules et chevalets. Les sujets des tableaux oscillaient entre les genres du paysage et du nu, mais aussi des images empruntées à la culture de masse comme l’image de la pin-up et la scène de baiser inspirée par le cinéma. Néanmoins, ce mimétisme était relatif. La rentabilité économique limitait la valorisation du caractère individuel des tableaux. Le marchand imposait un rythme de production et contraignait les artistes à se cantonner dans des thèmes et des manières de faire. J’ai identifié d’autres circuits de production et de circulation des chromos qui étaient vendus dans des magasins d’ameublement. Considérés comme des objets décoratifs, ils étaient inclus dans les circuits de circulation économique des marchandises anonymes. Leurs valorisations marchandes n’étaient pas fondées sur des critères propres au statut distinctif de l’œuvre d’art. Des distributeurs, propriétaires d’ateliers, faisaient fabriquer des tableaux à la chaîne en décomposant les étapes de leur production, et sur lesquels ils apposaient leurs signatures. Les propriétaires des magasins d’ameublement s’approvisionnaient aussi auprès de grossistes importateurs qui achetaient des tableaux produits dans les ateliers asiatiques, mexicains, californiens qu’ils signaient de noms fictifs.

La notion de la culture en simili incite à étudier les phénomènes de la culture visuelle populaire uniquement dans leurs rapports d’imitation des pratiques de la culture savante. Bien que cette notion ait permis d’analyser les pratiques du marché des chromos, elle a restreint son analyse. Les résultats de mon enquête ont démontré la cohésion et l’autonomie des réseaux du marché du chromo existant en dehors de l’institution artistique. Cette cohésion était fondée sur des valeurs esthétiques et économiques que partageaient les marchands, des artistes et le public. La confirmation de cette conclusion de mon étude m’a été confirmée, quelques années plus tard, après avoir lu Art Worlds d’Howard Becker (6). Becker démontre que, dans le domaine culturel, il existe une diversité de mondes de l’art qui ont leur autonomie propre. Leur fonctionnement repose sur la collaboration entre leurs acteurs qui partagent un ensemble de conventions qui assurent leur cohésion. Avoir lu ce livre au moment de la rédaction de ma thèse de doctorat, j’aurais davantage considéré le marché des chromos comme un monde de l’art défini par ses propres chaînes de relations entre les acteurs et dont les activités n’étaient pas exclusivement subordonnées aux pratiques de la culture savante.

Références

  1. Francine Couture et Suzanne Lemerise, L’artiste et le pouvoir : 1968-1969. Montréal, Groupe de recherche en administration de l’art, UQAM, 1975.
  2. Rapport de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, 3 volumes, l’Éditeur officiel du Québec, 1969, vol 1. 298 p. vol. 2, 382 p., vol.3, 203
  3. Raymonde Moulin, L’artiste, l’institution et le marché, Paris, Flammarion, 1992.
  4. Francine Couture, Le marché des chromos à Montréal et dans la région métropolitaine, sous la direction de Raymonde Moulin, École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, octobre 1981. Raymonde Moulin a fait un résumé de ma thèse dans son livre L’artiste, l’institution et le marché, Flammarion, Paris, 1992, p. 35-36.
  5. Pierre Bourdieu « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique, 1971, p. 49-126.
  6. Howard Becker Art Worlds, Los Angeles, London, University of California Press, Berkeley, 1982.
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